Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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9 octobre 2013

Très belle bande dessinée tant par le scénario que par le dessin. Commençons par ce dernier qui fait la part belle au sombre mais aussi aux couleurs pastels, rose, parme et bleu et aux couleurs plus franches comme le jaune lorsque les personnages sont dans le désert ou même un quasi noir et blanc sur quelques pages. L'atmosphère est onirique un rien mystérieuse, les personnages ont des visages qui ressemblent à des masques, ce qui ne nous permet pas de voir sur leurs visages leurs émotions.

Tout est donc dans leurs attitudes, dans leurs mots. Comme dans un récit où la longueur des phrases fait varier le rythme de l'histoire, Hippolyte (aux dessins) fait varier le nombre de cases par page, parfois au nombre de 9, elles indiquent une action rapide (comme le véritable massacre des réfugiés, p.94/95), d'autres fois un seul dessin par page voire même un dessin sur un double page, pour ralentir le cours de l'histoire, pour respirer, nous et les personnages. Certaines pages sont simplement magnifiques (toutes celles qui racontent l'arrivée des émigrés au bord de la mer et les premières qui parlent de leur traversée en bateau), franchement, je me verrais bien en accrocher une -ou plusieurs- sur mes murs, mais je préfère garder l'intégralité de l'album ! Un dessin peu conventionnel extraordinaire. Un sublime travail !
Venons-en au scénario, qui frappe fort dès le début : le long et difficile parcours d'émigrés, obligés de quitter leur pays pour survivre dont l'un des leurs, le jeune homme, ne veut pas raconter sa vraie vie, car il craint de ne jamais avoir de papiers. Néanmoins, il se range à la prière des ombres de ses parents et amis disparus que lui seul voit qui l'implorent de ne point mentir, pour ne pas les trahir. On est alors dans l'esprit de l'émigré qui donne ses raisons pour fuir son pays, son espoir de vivre ailleurs plutôt que de mourir chez lui, et la difficulté de quitter sa terre natale et ses souvenirs. Beaucoup beaucoup de belles images, comme celle de "l'ogre civilisé", personnification de la mondialisation, qui exploite les enfants et qui chantonne, comme une comptine : "Je recueille des enfants abandonnés, dans mon usine modernisée. Ils fabriquent des jouets immondes pour les enfants de l'autre monde, je suis un ogre civilisé ! Civilisééé !!! Je capitalise et mondialise. Mais avant de me goinfrer, je dois penser... productivité... efficacité... rentabilité !" (p.34/35)
Un terrible constat de notre société contemporaine qui préfère les profits aux humains, qui préfère le repli sur soi à l'ouverture à l'autre. En ces temps moroses où la course aux voix du FN est lancée par les ténors de la droite française et par notre actuel Ministre de l'Intérieur (qui me rappelle étrangement l'un de ses prédécesseurs), il est bon de se plonger dans ce superbe album qui parle magnifiquement de l'Homme (et de la Femme bien sûr) et les représente tout aussi sublimement.
A ne pas rater

roman

Le Castor Astral

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9 octobre 2013

Le livre est construit comme une alternance des narrateurs : une fois Violette (le plus souvent, les plus longues parties) et une fois Enrique, et ainsi de suite. C'est une sorte de dialogue muet entre eux deux fait de phases courtes voire très courtes. Aucun des deux personnages ne se pose vraiment de question existentielle. Ils font tous les deux, séparément, le point sur leurs vies : quelques retours dans le passé pour comprendre leur présent et leur envie de changer d'air et de solitude pour Violette qui n'est pas tendre avec les autres ni avec elle-même :

"Plus douloureux est le regard sur le corps. Mon corps est un peu délabré, limite cabossé. Mêmes les rondeurs ne sont plus rondes. Elles perdent leur contenance, elles tirent vers le bas. Pourtant je n'ai pas eu d'enfants. Ils n'ont servi à rien, ce ventre, ces hanches, ces seins. Violette, arrête ! Arrête une fois pour toutes avec tes complexes de femme qui n'a pas eu d'enfants. Comme s'il fallait enfanter pour exister à part entière aux yeux de la société." (p.39)
Violette n'est pas une dame vieillissante qui attire immédiatement la sympathie, totalement égocentrée et rétive aux contacts avec autrui. On ne sait pas trop pourquoi Enrique va lui donner cette impulsion pour aller vers lui, elle-même ne le sait pas non plus, parfois certains gestes ou comportements ne sont pas explicables. Toujours est-il que cette rencontre imprévisible les changera durablement, chacun avançant lentement et timidement vers l'autre et en lui.
Un très beau roman, très court qui ne sombre jamais dans le sentimentalisme facile : on est dans des rapports humains tout à fait réalistes entre deux personnes qui ne se livrent pas mais qui s'attachent l'une à l'autre. Tout les sépare, l'âge, la condition sociale, la couleur de peau, la culture et ce sont ces différences qui vont les lier.
Écrit dans un style qui colle parfaitement à ce qu'il décrit : phrases courtes, efficaces, qui vont à l'essentiel et qui ne s'embarrassent pas de fioritures, pas de salamalecs, d'adjectifs superflus, d'adverbe en trop (je devrais prendre des cours avec Verena Hanf moi qui en mets partout) : "Je mange une dernière pomme de terre, je débarrasse la table, je fais la vaisselle, je regarde la pendule, c'est l'heure du repos maintenant. Je me brosse les dents, j'enlève mes chaussures, ma jupe et mes boucles d'oreille, je tire les rideaux et je m'allonge sur mon lit." (p.33), c'est un livre qui se lit aisément, dans lequel les pauses sont facilitées par de courts paragraphes, on peut donc le poser, le reprendre, ... Aucun ennui, aucun sentiment de longueur, c'est un roman épuré, court (167 pages) qui n'oublie pas de faire la part belle à ses personnages, à leurs relations et leurs sentiments. Une réussite pour ce premier roman écrit directement en français de Verena Hanf, auteure d'origine allemande et égypto-libanaise qui vit à Bruxelles.

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9 octobre 2013

Zulma a l'habitude de concocter de belles surprises. Ce roman ne dérogera pas à cette règle. A condition d'aimer les livres qui ne racontent pas forcément une histoire avec un début et une fin, d'aimer être surpris et prendre son temps. Car c'est une histoire qui ne se presse pas, des personnages qui prennent le temps de réfléchir sur leur vie actuelle, passée et future. Lucia Antonia rencontrera Eugénie et sa fille Astrée, deux réfugiées, un garçon voilier qui lui tend ses fils et un peintre poursuivi par le souvenir d'un ancien modèle. Tous vont lentement. Tous ont des envies, des souhaits, des désirs qu'ils expriment plus ou moins, des soucis dus à leur art, à leur passé d'artiste ou d'émigrées. Ils se rencontreront pour tenter de repartir ensemble ou chacun de leur côté.

Daniel Morvan écrit un texte plein de douceur, de calme, une sorte d'oasis de quiétude dans les moments d'intensité, de course parfois un peu vaine que l'on peut vivre au quotidien. Un livre qui prend son temps et nous fait prendre le nôtre ! L'auteur procède par ellipses. En le lisant, on ne visualise pas un film, mais plutôt des images arrêtées, à nous de faire le lien ensuite entre icelles, ce qui est automatique et sans effort. Lucia Antonia parle indifféremment de son présent, d'Eugénie, d'Astrée du peintre ou du garçon voilier, mais aussi de son passé avec Arthénice, de l'avant-accident et de son aïeul Alcibiade (son arrière-grand-père) qui écrivait lui aussi sur des carnets, le créateur du cirque et sorte de dandy de son époque.
C'est un récit qui avance par petites touches, 170 chapitres (écrits en chiffres romains = CLXX) pour 128 pages, avec des titres explicites qui permettent de se repérer dans le temps. Un livre superbement écrit, hymne à la liberté, la nature et la vie. Poétique. Onirique. Merveilleux. Lisez, par exemple, comment Daniel Morvan parle des marais salants :
"Sitôt les vannes ouvertes, l'eau se déploie en draperies cuivrées sous lesquelles la plaie séchée des sols craquelés cicatrise. De longues silhouettes arpentent les salines. Une main balaie la surface de l'eau et récolte le premier sel." (p.46)
Ou comment Lucia Antonia parle de son amour pour Arthénice sa presque-sœur et pour son art le funambulisme :
"Le fil est pour moi le lieu de la tranquillité et de la nuit. C'est sur le fil que je suis le plus proche d'Arthénice. J'y marche comme dans une forêt sans voûte étoilée pour l'éclairer. Toute pensée s'absente alors et je ne suis plus que mes pas sur un chemin de quatorze millimètres." (p.86)
"Un enchantement de lecture" est-il écrit sur le rabat de la première de couverture. Enchantement que je partage entièrement auquel je rajouterai même un ravissement. Et comme toujours, chez Zulma, la couverture est superbe et le livre (papier, mise en page, police d'écriture, aération du texte, ...) est un très bel objet.

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24 septembre 2013

Maya Ney est une psychologue à la retraite qui se voudrait détective. Elle séjourne régulièrement en Europe, et surtout entre Prague et Vienne, deux villes qu'elle aime. C'est dans le train entre ces deux cités, le Franz Schubert Express qu'elle fait la connaissance de Clara Blau, qui s'épanche et lui raconte ses malheurs. Mais est-ce vraiment la vérité ? Que cache cette femme sous ses dehors honnêtes et sincères ? Un an plus tard, toujours en villégiature, Maya Ney, prend le train dans l'autre sens (entre Vienne et Prague, le Gustav Mahler Express) ; elle est le témoin d'une scène pas banale aux conséquences tragiques.

J'ai déjà lu avec grand plaisir un livre de Tecia Werbowski, Chambre 26, et je pourrais reprendre quasiment mot pour mot mon billet. Non pas sur le contenu du livre, mais sur la forme. Charme désuet d'une écriture intemporelle, on pourrait même croire à un récit se passant au 19ème alors qu'il est très actuel (il y est question d'euros, de CD, de lettres datées de 1998), personnages décalés dans leur époque, et contexte également décalé : voyage en train express, robes de soirées, musique classique, salons de thés (même si Maya Ney ne se refuse pas un grog de temps en temps), femme d'un certain âge qui se verrait bien en détective. Tout cela concourt à donner un rythme et un fond très particuliers. Un peu Agatha Christie évidemment. Un soupçon de Stefan Zweig dans la forme. Le style est policé, poli, élégant, sans omettre au détour d'une ligne un "Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" (p.23) lancé par une femme de la bonne société.
La première partie, Franz Schubert Express, est écrite à la première personne du singulier contrairement à la seconde (Gustav Mahler express) écrite à la troisième personne. Sincèrement, je préfère Franz Schubert (pas la musique, je suis totalement ignare en ce domaine), le "je" donne un côté plus proche de Maya, on est elle qui se pose des centaines de questions sur son interlocutrice, ou alors c'est l'histoire qui est mieux, plus intéressante. Le procédé de changement de point de vue me plaît bien, on peut ainsi se rendre compte facilement de la différence d'un récit en fonction du narrateur, différence de ressenti, d'interprétation, de projection.
Pas vraiment des polars au sens strict du terme, plutôt des petits romans à l'esprit policier qui se lisent agréablement pour les histoires qu'ils racontent et pour l'écriture de Tecia Werbowski. Deux intrigues qui forment un livre de 88 pages, l'auteure étant spécialiste des petits romans dans lesquels le superflu est ôté pour ne laisser que le nécessaire. On pourrait regretter que l'intrigue ne soit pas plus développée, que T. Werbowski ne donne pas plus de corps à ses personnages, mais en y regardant de plus près, Maya est bien plus qu'esquissée et on connaît tout de l'histoire de Clara Brau. Alors pourquoi s'encombrer de détails inutiles ? Moi, j'aime ces formats courts, efficaces, que l'on peut emporter et lire rapidement en toutes circonstances (ou presque). Ne boudons pas notre plaisir !

roman

Vents d'ailleurs

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24 septembre 2013

Il est difficile de résumer ce roman dense. C'est une épopée formidable, une quête initiatique dans laquelle Gary Victor se fait un plaisir de mêler la religion, la philosophie, la vie, la mort, la fidélité en amitié, la politique, l'amour, l'état de son pays Haïti de ses débuts à nos jours ... Il y a une foultitude de personnages, des vivants, des morts, des divinités vodou qui fort heureusement apparaissent les uns après les autres si bien qu'on ne s'y perd pas. Récit extrêmement maîtrisé qui se laisse suivre très aisément même lorsque comme moi, on n'est pas féru du genre fantastique. Certes, on peut se perdre facilement dans les traditions et la religion vodou, mais G. Victor a eu l'intelligence de mettre en fin de volume d'une part un glossaire et d'autre part une liste des personnages intervenants, tous les deux bienvenus.

Ce roman est long (581 pages dans sa version poche) mais jamais ennuyeux. La meilleure preuve est que parfois, je voulais passer vite tel ou tel passage mais qu'à chaque fois j'en étais empêché, attiré par le texte, les aventures de Sonson et les histoires annexes. Car si Sonson avance sur la Piste : "La Piste, c'est le purgatoire, la longue route où les mécréants doivent se dépouiller de leur peau d'homme pêcheur. La Piste, c'est le purgatoire avec une porte de sortie, une porte qui ne s'ouvre que sur l'enfer. La Piste, c'est la gomme qui efface tout, qui réduit l'âme à sa plus simple expression. La Piste, mon fils, c'est la punition suprême." (p.543), comme la définit Bawon Samedi (esprit gardien des cimetières dans le vodou), il doit passer des épreuves, raconter des histoires et en écouter. Lui raconte des bribes de la vie de Persée, tentant de justifier qu'il est un Juste et qu'il doit donc revenir sur terre, et il doit écouter les vies de ceux qui sont bloqués sur la Piste, certains avec des peines lourdes. C'est dans ces apartés que Gary Victor raconte son pays, depuis le temps des colonies lorsque les blancs contrôlaient tout jusqu'à la période plus proche de nous avec son Président Éternel et ses tristement célèbres tontons macoutes. Il y est aussi beaucoup question de religion, comment lentement, mais sûrement la religion catholique a supplanté le culte vodou. Gary n'épargne ni les tenants de l'une ni ceux de l'autre ni même les dieux de la religion vodou, les Iwa, mécontents des conversions des Haïtiens à une religion monothéiste auxquels ils cherchent à nuire et dont ils veulent récupérer les âmes. Beaucoup de questionnements sur la vie et la mort, sur l'amour, sur ce que l'on appelle maintenant la résilience. L'amour physique est abordé aussi de manière parfois brutale (il me faut préciser ici que Sonson Pipirit est muni d'un "énorme sexe que se disputent les filles des hommes et des dieux" (4ème de couverture), mais surtout de manière assez romantique, car Sonson est certes un homme qui aime le plaisir charnel, mais il respecte avant tout la femme avec laquelle il copule.
Un roman d'aventure moderne, haïtien, truculent, empreint des rites et traditions haïtiens, qui lorgne également vers la mythologie, les contes, les récits d'aventures de tout ordre, les romans initiatiques, la critique sociale et/ou politique. Un très joyeux mélange, formidablement mené, totalement maîtrisé, qui ne m'a pas laissé une seule seconde de répit qui m'a envoûté moi aussi au point de ne pouvoir aller plus vite que le rythme imposé par l'auteur, "le tout servi par une langue drue, baroque et inouïe." (4ème de couverture).